La danse au cinéma : West Side Story

  L’engouement de Steven Spielberg pour les comédies musicales se confirme. Après avoir participé à la production de Cats, film de Tom Hooper, adapté de la comédie musicale culte d'Andrew Lloyd Weber, c’est en tant que producteur mais surtout réalisateur qu’il s’attaque à West Side Story, film de Robert Wise et Jérôme Robbins sorti en 1961 et inspiré de la comédie musicale parue en 1957 sur la scène de Broadway.

  Certains s’interrogent sur la pertinence d’une reprise de West Side Story par Steven Spielberg. Nous n’entrerons pas dans ce débat mais chercherons plutôt ici à tirer partie au mieux de cette réécriture sur un plan pédagogique en confrontant les différentes adaptations. Cette œuvre est intéressante à plus d’un titre. Outre l’extraordinaire bande-son de Léonard Bernstein, elle permet d’aborder avec nos élèves à partir de la 4eme (la version de Spielberg a été déconseillée aux moins de 13 ans aux Etats-Unis) plusieurs axes de travail intéressants : les notions de réécriture et d’adaptation, les confrontations de valeurs liées aux origines et au genre et enfin le regard porté sur la ville.

1. De la réécriture de Roméo et Juliette à l’adaptation de la comédie musicale en film

  La comédie musicale écrite en 1957 revendique dès le départ le lien avec Roméo et Juliette de William Shakespeare. En plus de l’histoire d’amour entre deux adolescents, ici Maria et Tony, on retrouve l’opposition qui fera obstacle à leur amour. Le conflit entre les Capulet et les Montaigue, « deux familles égales en noblesse », est remplacé par l’affrontement entre deux gangs de quartier: les Sharks et les Jets, dont on retrouve les noms gravés sur différents murs ou trottoirs de la ville. Comme Juliette, Maria est déjà promise à un autre: Chino. Le mariage est arrangé. Tony et Maria devront vivre leur amour caché, à l’ombre de la nuit, se retrouver sous la fenêtre de la jeune promise. Jérôme Robbins avait choisi d’utiliser les escaliers extérieurs typiques des immeubles new-yorkais en lieu et place du balcon. C’est d’ailleurs ce graphisme qui sera retenu pour l’affiche du film de 1961 comme pour celui de 2021. Les répliques shakespeariennes sur le nom de Roméo seront remplacées par la célèbre chanson Maria .

  •  Roméo et Juliette : une œuvre intemporelle, danse et réécriture

Comme Roméo et Juliette, Tony et Maria se rencontrent lors d’une scène de bal, scène où la danse est à l’honneur. On y retrouve des danses de couples comme le mambo sur The Dance at the gym avant que la musique ne ralentisse pour donner toute son intensité à la scène du coup de foudre. Les sons s’estompent autour d’eux, le monde qui les entoure devient flou, Tony et Maria entament un cha cha cha et ne perçoivent plus qu’eux. Pour l’étude de cette scène, notre préférence ira à la version plus poétique de 1961 où l’utilisation du flou permet de mettre en valeur les acteurs et de les isoler par rapport au reste de la scène. Le spectateur entre dans l’intimité des personnages. Steven Spielberg, quant à lui, joue sur les lumières à l’arrière-plan pour éblouir les personnages et choisit d’isoler le couple en le déplaçant derrière le décor froid des gradins, obstacle physique aux regards des autres, proposant ainsi une version plus réaliste.

Roméo et Juliette : une œuvre intemporelle , danse et réécriture

  • La version classique de Noureev sur la musique de Prokofiev avec Monique Loudières et Manuel Legris.

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  • Une version contemporaine de Roméo et Juliette, de science-fiction, inspirée par 1984 de Georges Orwell : la chorégraphie d’Angelin Preljocaj.
    http://www.ina.fr/video/CAB96086179
    Comment des peuples qui sont divisés, qui sont en crise, qui sont en guerre, produisent-ils des Roméos et Juliettes, des jeunes gens dans des situations où ils ne peuvent pas s’aimer ? Par exemple un Palestinien qui est amoureux d’une Israélienne, ou en Irlande les Catholiques et les Protestants dans cette quasi guerre civile, des exemples comme ça, il y en a sur toute la planète, des gens qui s’aiment alors même qu’ils ne sont pas du même côté de la barrière. C’est ça qui fait que c’est un spectacle qui peut resurgir à tout moment avec son fond de réalisme, et qui permet d’avoir une mise en fond de l’actualité, toujours. » Preljocaj

  • Roméo et Juliette et hip hop
    Clip de Roméo kiffe Juliette de Grand Corps Malade
    Le Défi de Blanc Li
  • La comédie musicale : Roméo et Juliette de Presgurvic sur une chorégraphie et une mise en scène de Carl Portal à partir de l’idée originale de Rhéda.
    Si vous souhaitez réfléchir sur la symbolique du costume et des couleurs, vous trouverez des pistes en suivant ce lien.
  • À découvrir prochainement : Roméo et Juliette de Benjamin Millepied.

La pièce de Shakespeare n’a pas fini d’inspirer les artistes…

  • Danser ses émotions

Cette scène de bal est particulièrement intéressante car elle nous rappelle le rôle social de la danse.
Là où l’intrigue se fonde essentiellement sur l’opposition entre les différents clans, le meneur de la soirée tente, par la danse, de faire oublier les tensions, peut-être même nourrit-il l’espoir de les voir disparaître. Il propose ainsi une danse de bal (ou danse de « vis-à-vis ») où les rencontres se font au hasard, les garçons dans un cercle extérieur et les filles dans un cercle intérieur tournant dans le sens inverse. Lorsque la musique s’arrête, chacun est sensé danser avec le partenaire qui lui fait face. Malgré la volonté de Riff et Bernardo de montrer l’exemple, les couples, à l’arrêt de la musique, ne se mélangent pas et chacun retrouve son ou sa partenaire. Chaque clan réorganise l’espace.

Danser ses émotions
Si on observe la scène de bal, deux énergies se superposent. D’un côté, sont perceptibles les tensions issues de la rivalité entre les deux clans, de l’autre, Tony et Maria vivent un moment suspendu où l’harmonie de deux êtres qui se connectent efface le monde environnant.
Il est possible dans un premier temps de faire noter aux élèves les mots ou images  qui leur viennent à l’esprit en observant les différents moments du bal (les champs lexicaux de l’amour et de la haine peuvent avoir été travaillés au préalable en français pour aider à la mise en mots).
À partir des mots identifiés (ou d’autres suggérés par l’enseignant : violence , colère…..), les élèves improvisent. Alors que certains explorent, d’autres observent et notent avec leurs mots les qualités des  mouvements qu’ils associent à l’émotion. Si les élèves sont en difficulté, on peut leur proposer une valise de mots.
Les élèves échangent ensuite les rôles. En fonction de ce qui a pu être observé, il est possible de les rediriger. Ainsi, la colère peut-être intrinsèque ou subie.

Pour aller plus loin :
Comprendre le langage corporel, être à l’écoute de l’autre est le point de départ de l’empathie émotionnelle. Nous vous proposons de développer cette compétence chez l’élève , en l’invitant à l’échange et au débat mais aussi à la mise en corps des émotions qu’il ressent ou perçoit.

Au début du film de Robert Wise et Jérôme Robbins, on identifie clairement le regard amusé des personnes en possession de la balle et celui désappointé des individus qui viennent d’en être dépossédé.
Après avoir exploré à l’aide d’improvisations l’expression d’émotions ou sentiments courants, il peut-être intéressant d’expérimenter des exercices qui permettent de percevoir les émotions et le ressenti des autres. Quoi de mieux que le jeu Feelings dont on adapterait un peu les règles ? Pour ceux qui ne connaissent pas le jeu, celui-ci propose des situations de vie et demande au joueur d’identifier l’émotion qu’il éprouverait dans une telle situation et l’émotion qu’éprouverait l’un des autres joueurs. Dans une variante dansée, il est possible de demander à l’élève d’exprimer l’émotion par le corps et de proposer au groupe d’identifier l’émotion qui a été interprétée. Les élèves peuvent ensuite échanger sur les éléments de la proposition dansée qui ont permis ou non de retrouver l’émotion incarnée puis sur les raisons pour lesquelles ils ont opté pour telle ou telle émotion.

Le saviez-vous?

Le mot « émotion » vient du latin emovere qui signifie mettre en mouvement.

  • Rejouer la scène de bal et la danse de vis à vis

  D’une adaptation à l’autre, les adjuvants évoluent, si le personnage de Doc dans la version de 1961 reprend celui de Frère Laurent dans la tragédie shakespearienne, Spielberg choisit d’attribuer ce rôle à Valentina, veuve de Doc, jouée par Rita Moreno (qui jouait Anita dans le film de Robert Wise et Jérôme Robbins). Le personnage de Valentina a un double intérêt. Il permet d’introduire un personnage féminin fort. Cette dernière, d’origine portoricaine, formait avec Doc un couple mixte. Elle symbolise donc l’espoir d’un avenir possible pour les amants et est en mesure de comprendre Tony et Maria. C’est Valentina qui reprend la chanson Somewhere et non plus Tony et Maria, donnant ainsi une nouvelle portée au texte, alors même que la question migratoire devient de plus en plus prégnante dans nos sociétés, cette chanson résonne comme un appel nostalgique, la dernière étincelle d’espoir d’un rêve américain qui s’estompe.

  N’est-ce pas là ce que cherche le spectateur lorsqu’il vient voir une adaptation ? Au-delà de retrouver ce qui constitue l’œuvre originale (personnages, thèmes, registres…), ne s’attend-il pas aussi à ce qu’elle éclaire la société de son temps ? Alors qu’apporte de nouveau le film de Spielberg ? La réponse se trouve peut-être dans la manière d’aborder les discriminations au sein de nos sociétés, avec plus d’authenticité.

Rejouer la scène de bal et la danse de vis à vis :
L’exercice peut être intéressant à mener avec des élèves, pour les inviter à danser avec les autres. Il s’agirait alors, dans un premier temps, de reprendre les consignes du meneur de bal et  de capter le regard de l’autre. On peut tenter pour un premier exercice de danser en miroir avec le partenaire qui nous fait face.
Dans un second temps, on peut complexifier l’exercice, en reprenant l’exercice sur les énergies.   Face à une personne de son clan, on danse en recherchant l’harmonie. Face à une personne du clan adverse, on exprimera la tension, l’opposition, un mouvement plus saccadé, avec des impulses. On retrouvera ainsi l’opposition entre la douceur de l’expression du sentiment amoureux et la violence des corps en colère. L’analyse et l’observation de l’énergie qui traverse les corps peuvent venir nourrir des travaux d’écriture et inversement, des travaux d’écriture ou recherches de vocabulaire peuvent permettre d’explorer de nouveaux chemins dans le corps.

2. Donner à voir les problématiques de société et redonner une certaine authenticité à l’œuvre en adéquation avec le message véhiculé

  West Side Story questionne la société américaine, et les sujets abordés restent brûlants d’actualité : montée de la violence dans les quartiers, misère sociale, racisme ambiant (notamment celui à peine voilé du policier Schrank), politique d’immigration, représentation de la femme, violences faites aux femmes avec la tentative de viol collective d’Anita. Si l’ensemble de ces éléments sont présents dans la version originale, Spielberg leur donne une nouvelle dimension. N’oublions pas que Spielberg réalise ce film alors que le mouvement Black Lives Matter dénonce les violences policières et le racisme aux États-Unis et que le mouvement Mee too, qui a libéré la parole des femmes, remet en cause une société patriarcale et les violences imposées aux femmes.     

  La question de la xénophobie est certes au coeur du film initial mais de nombreux critiques ont abordé le paradoxe de J.Robbins qui mettait à jour la situation des latino-américains en grimant des acteurs «blancs». Le film de Spielberg se veut donc plus réaliste, avec une attention portée au casting et le souci de maintenir la langue espagnole sans traduction.
La question de l’identité de genre parcourt également le film. Le personnage d’Anybodys, prend une nouvelle dimension, interprété par l’acteur.rice non binaire Iris Menas. Le personnage, identifié dans la 1ere version comme un « garçon manqué », terme très connoté négativement (comme s’il y avait des garçons manqués et des filles réussies) cherche sa place au sein du groupe. Malmené.e et appelé.e « le petit eunuque », dans le commissariat, avant de partir en courant, Anybodys va jouer un rôle capital dans l’apaisement des tensions entre les gangs, comme un trait d’union.  Dans cette scène du commissariat, Anybodys vient perturber l’organisation spatiale très clivée avec d’un côté le banc des filles et de l’autre le banc des garçons. À partir de ce moment, les personnages vont bouleverser l’organisation du lieu, dans une scène burlesque. Les bancs sont redéployés, deviennent des toboggans, la salle se transforme en tribunal improvisé dans lequel se joue une parodie du pouvoir. Cette multiplicité des tons est un clin d’œil fidèle et respectueux à l’esprit baroque de la pièce de Shakespeare, trop souvent réduit à sa tonalité tragique mais ce passage de Gee, Officer Krupke est aussi l’occasion de dénoncer un système juridique perverti.

  • La mise en scène des confrontations
        
         Parmi les deux oppositions majeures, on retrouve l’opposition entre les deux clans : les Jets (américains blancs d’origine irlandaise et polonaise), les Sharks (d’origine portoricaine) et celle entre les filles et les garçons. La célèbre chanson America confronte la vision du rêve américain portée par les femmes et leur désir d’émancipation à celle des garçons pour qui ce « pays de la liberté » n’est qu’un leurre. Ce passage est l’occasion d’étudier plus spécifiquement les stratégies argumentatives des protagonistes.   Cet épisode a été entièrement renouvelé pour lui donner un nouveau dynamisme.    Les plans fixes sur le toit d’un immeuble sont remplacés dans la version de Spielberg, par une caméra en mouvement qui suit les danseurs. Les femmes, notamment Anita, quittent un espace intérieur pour partir à la conquête de la ville. La volonté de prendre le dessus dans l‘argumentation est symbolisée par l’occupation de l’espace. Les prises de parole sont associées à un déplacement, les uns cherchant à devancer les autres. Les deux groupes sont clairement identifiés. Les femmes font face aux hommes et les groupes dansent de manière alternée, pour affirmer leur position respective avec une danse rapide aux accents très marqués. Pourtant, ils se rejoignent au final, capables de s’entendre avec une danse puissante et collective.

  Si on observe les différentes adaptations, alors que Spielberg choisit de mettre en évidence immédiatement la rivalité des deux clans avec deux gangs constitués, Robbins met davantage en évidence dans les premières minutes le poids du groupe face à l’individu. Dans la version de 1961, le prologue dure sept minutes avant d’entendre ces 1ers mots « beat it ». Le spectateur découvre donc cette rivalité des gangs par la danse à travers une chorégraphie qui, par l’objet rond passant d’une bande à l’autre, révèle les relations de pouvoir dans la cité.  De la balle, au ballon de basket, en passant par l’orange, les protagonistes peuvent se saisir de l’objet et ainsi dominer le jeu ou se le voir subtiliser dès qu’ils sont en minorité. La construction est ici intéressante puisque les mêmes mouvements sont repris par un membre du groupe, puis deux puis trois avant de conduire à un ensemble. Cette mise en scène donne à voir le mécanisme des rapports de force dans les quartiers.

  L’intrigue se résout en grande partie avec le dépassement du conflit par les deux gangs qui pleurent leurs morts et les Jets qui acceptent enfin Anybodys comme un des leurs.
West Side Story est surtout l’histoire d’une conquête de territoire, d’une rivalité de gangs pour s’approprier un espace. La danse et la mise en scène vont alors jouer un rôle primordial pour en symboliser les enjeux.

Représenter le conflit en danse

a) Travailler le regard
Plusieurs exercices peuvent participer à la construction de cette rivalité chorégraphique.
Un des éléments importants est d’abord le regard. Capter le regard de l’autre est capital pour entrer en relation avec lui. Encourager les élèves à capter le regard de leur camarade en marchant dans l’espace en mobilité puis en s’arrêtant peut être une première possibilité. Puis à l’aide de deux lignes face à face, les élèves sont encouragés à soutenir le regard de la personne, à se croiser et à changer de face en reculant et en maintenant « leurs yeux plongés dans ceux de leur adversaire ».

b) Comprendre le phénomène de groupe : une histoire de leader
Un exercice qui expérimente l’écoute et le regard périphérique : les élèves sont invités à choisir une personne dans la salle et en dansant à la rejoindre dans l’espace. Chacun ayant choisi une personne différente, à l’issue de l’exercice, ils ne constitueront le plus souvent qu’un seul groupe. Le même exercice peut être effectué en choisissant d’emprunter à l’autre en plus un mouvement.
Afin de continuer à travailler la notion de groupe et d’ensemble, il est possible de constituer plusieurs groupes (en fonction du nombre d’élèves dans la classe) et de les inviter à se suivre à la manière du chef d’orchestre, la personne dirigeant étant la personne devant, vue par tous. A chaque changement d’orientation, le chef d’orchestre change donc.  L’objectif est alors de trouver une harmonie et ne faire plus qu’un.

c) Chorégraphier cette identité de groupe
 Trouver l’identité d’un groupe, c’est d’abord lui trouver une gestuelle qui lui est propre. En travaillant par petits groupes de 3 ou 4, il est possible de choisir une série de mouvements et déplacements qui seront ensuite à apprendre à un autre groupe pour n’en constituer qu’un seul. À partir de ces gestes communs, les élèves peuvent créer une partition avec des décalages, canons et un ensemble. (voir le film de 1961 de 7minutes 40 à 9minutes 50 ou 11 minutes). Une fois l’ensemble créé, une présentation face à face peut être envisagée entre deux clans différents.

Petite anecdote :
Les premiers mots prononcés dans le film de 1961, Beat it (Casse-toi !), seront à l’origine de la chanson de Mickaël Jackson dont le clip s’inspire de l’antagonisme entre les Jets et les Sharks. Mickaël Jackson chorégraphie le combat (contrairement à la version de Spielberg de West Side Story qui, par souci de réalisme, a plutôt mis en avant la violence à l’état brut). La foule qui encercle les opposants accompagne le mouvement également.Ce clip peut amener une réflexion sur la mise en scène du combat et le rôle des protagonistes autant que des spectateurs.

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3. La ville : repenser l’espace

Si Shakespeare débute son texte en situant l’action à Vérone, les metteurs en scène ou chorégraphes se saisissent de cette représentation de la ville, de ce décor pour en faire la clé de leur œuvre redonnant ainsi une certaine modernité à l’histoire. L’importance du lieu est soulignée par le titre qui tire son nom du quartier d’Upper West Side.
Le film de 1961 s’ouvre sur un plan en plongée sur la ville de New York avec un zoom progressif sur le quartier de West Side et le terrain de basket, lieu de conflit de territoire entre les Jets et les Sharks.   Robert Wise prend le temps de situer l’action en proposant une vue générale de New York vue du ciel : ses infrastructures portuaires, routières, ses parcs, ses constructions en hauteur avec le sommet des immeubles. Lorsqu’on découvre le quartier, c’est pour observer des espaces grillagés de toute part, des lieux clôturés que les jeunes escaladent. Il faudra plus d’une dizaine de minutes de film pour découvrir les espaces de démolition à la limite du quartier. A l’époque, Robert Wise avait filmé la scène d’ouverture dans les immeubles condamnés à la destruction pour laisser la place au vaste projet de l’urbaniste Robert Moses comprenant notamment le Lincoln Center (lieu dédié à l’art, centre culturel le plus important du monde, dans lequel on retrouve notamment le New York City Ballet ou l’orchestre philharmonique de New York).
Spielberg semble prendre le parti inverse de celui de Robert Wise avec un plan en contre-plongée qui met en avant un panneau révélant le chantier de construction et le plan du nouveau quartier avant d’observer les espaces démolis juste derrière, espaces d’où jailliront les différents personnages. Le réalisateur met l’accent sur la manière de penser les quartiers et l’impact sur les populations qui y vivent. Ainsi, dès le début du film, les forces de l’ordre rappellent aux Jets, comme aux Sharks, qu’ils se battent pour un territoire qui est en train de disparaître devant eux. Les différents plans choisis révèlent des pans d’immeubles ou de boutiques qui survivent au milieu des ruines. D’un autre côté, ouvrir sur les plans du nouveau quartier avec le Lincoln Center est hautement symbolique puisque sur les débris de ce quartier, c’est l’art qui renaît. Le choix du chorégraphe, Justin Peck, chorégraphe actuel du New York City Ballet, pour la mise en scène des parties dansées ne vient-il pas renforcer cette idée ?
Dans cette perspective s’opposent les lieux fermés et clôturés du quartier et le vaste horizon de la ville de New York.
La place accordée aux espaces urbains est importante dans l’ensemble du film. Dans la version de 1961, on peut voir les Jets jouer avec le mobilier urbain, balançoires, barres en fer fixées entre deux murs … Dans la version de Spielberg, il faudra attendre la musique Cool, moment où Tony va tenter de convaincre les Jets et notamment Riff de ne pas se rendre au rendez-vous prévu. Spielberg reprend ici la chronologie de la comédie musicale de 1957, d’après le livret d’Arthur Laurents.  C’est alors le moment de jouer et danser avec l’espace : plan incliné, poutres, trou dans le sol…La danse s’adapte aux lieux et les protagonistes jouent avec l’espace.
Dans tout le film, les personnages s’approprient et recomposent, réinventent cet espace voué à disparaître.

Et si dans la composition des images et la restructuration des lieux, le film portait l’espoir d’un monde en mouvement où les jeunes ont le pouvoir de trouver leur place, de modifier les choses ? Et si derrière les ombres projetées des corps qui se rejoignent dans un hangar , ou derrière  les lumières , à travers le vitrail , qui  réunissent les couleurs de Tony et Maria, transparaissait l’espoir d’un monde où vivre ensemble est toujours possible ? Le film ne s’ouvre-t-il pas sur le plan d’un quartier à rebâtir ? Le teaser ne résume-t-il pas à lui seul ce message d’espoir avec les mots chantés par Valentina : « There’s a place for us. Somewhere a place for us. Somewhere. »

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West Side Story nous offre un vaste champ d’exploitations pédagogiques dans lesquelles il est possible de faire dialoguer les différentes versions du film avec les influences multiples. À la croisée de nombreuses disciplines, l’œuvre nous offre l’occasion d’un travail interdisciplinaire riche.

À partir de l’un des extraits mentionnés, il est possible d’amener les élèves à danser dans un espace non dédié en intégrant les différentes composantes de cet espace (murs, bancs, escaliers, rampes, lignes tracées au sol…). Cette danse in situ oblige à intégrer toutes ces contraintes dans le choix du mouvement et dans la composition chorégraphique. Afin d’accompagner la démarche, une liste de mots peut être proposée ou préparée avec les élèves (des prépositions spatiales : sur, sous, devant, derrière, contre, avec…), mais aussi des verbes (longer, glisser, sauter, parcourir…). Bien évidemment, en fonction des lieux, des consignes de sécurité compléteront celles de composition.

Des artistes contemporains
Certains chorégraphes se sont interrogés sur la relation de la danse à l’espace. C’est le cas de Trisha Brown dans Roof and fire piece
« Au début des années 60, le post-modernisme, mouvement new-yorkais issu du Judson Dance Theater, posa la question de la scène et du rapport à la représentation et au spectaculaire. Trisha Brown, l’une des initiatrices de ce courant emmena la danse dans les rues, dans les parcs, sur les façades et sur les toits de New York. Elle développe une réflexion autour de l’art de l’improvisation et propose des performances in situ. »
(source : Numeridanse : https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/roof-and-fire-piece)

Dans la prolongation du travail de Trisha Brown, Julie Despairies développe un travail autour de l’architecture des bâtiments, notamment pour la Biennale de 2006 où elle s’inspire de l’architecture des gratte-ciels de Villeurbanne.
Dans les vidéos ci-dessous, vous trouverez plusieurs extraits évoquant sa démarche et pouvant inspirer les élèves.

Une définition de la danse par Angelin  Preljocaj pour résumer :

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