L’opération Printemps des poètes est une occasion donnée à l’ensemble de la communauté éducative de faire vivre le texte poétique de manière très libre au sein des établissements et des structures culturelles.
Au niveau national, la thématique proposée, « L’éphémère », invite au travail sur les petites formes et sur le fragment. L’opération Coudrier engage d’ailleurs dans ce cadre les élèves, par la réécriture et la diffusion de haïkus, à imaginer leur propre définition de l’éphémère, puis à inventer un affichage, afin de donner à découvrir durant le mois de mars leur propre vision du monde dans la ville.
Ces propositions gagneront à être déclinées tout à fait librement au sein des établissements : l’objectif est bien de rendre vivante la poésie par des actions de lecture, d’écriture, de mises en voix, d’affichages (…), à inventer par chacun d’entre vous au gré de vos envies et de vos possibilités.
L’opération Printemps des poètes pourra d’ailleurs très utilement être associée au dispositif « Chut, on lit ! », soit pour prolonger et renouveler une mise en œuvre déjà installée (les élèves pourraient, durant cette période, être engagés à lire des textes poétiques), soit pour expérimenter le quart d’heure lecture.
Elle se prête enfin à l’exercice libre des compétences orales et notamment de la mise en voix.
L'édition 2023 dans l'académie :
Chanter la ville, chanter sa ville :
Le Spleen de Valenciennes, ou éclats de poésie urbaine
La poésie peut-elle transfigurer la réalité ? A l’imitation de Baudelaire qui, dans ses Fleurs du Mal,voyait dans les aspérités et les fragilités de Paris l’occasion de faire du beau avec du laid, les élèves de deux classes de quatrième sont invités, depuis l’an dernier, à appréhender la poésie de leur ville. La séquence « Chanter la ville, chanter sa ville : Le Spleen de Valenciennes, ou éclats de poésie urbaine » vise un objectif triple qui s’attache, non pas à apprendre, mais plutôt à faire prendre conscience aux élèves que :
– quelle que soit la réalité, celle-ci dépend en partie du regard que l’on porte sur elle et qu’elle est le lieu de tous les possibles parce que l’on a le pouvoir de la transfigurer, qu’en retour elle est capable
de nous porter ; – que la poésie n’est pas le fait de textes imprimés dans les recueils et manuels : elle se vit, se créée et c’est à nous de la faire surgir à force d’attention et de disponibilité.
– qu’elle se donne à toute sensibilité à la recherche d’un plaisir, aussi fugace soit-il.
La première partie de la séquence s’attache à démontrer que la réalité dépend en partie du regard que l’on porte sur elle et qu’elle est le lieu de tous les possibles. Elle s’ouvre sur Le poème « Spleen », de Jules Laforgue et sur une question ouverte : Ce texte est-il pour vous un poème ?
Source de désenchantement, la ville est à l’origine du spleen du jeune poète qui s’amuse avec les mots pour mettre en place un texte que les élèves trouvent immédiatement « surprenant » et « minimaliste ». Les jeux de sonorités, la prosodie mettent en place une humeur mélancolique et torturée, les vers parlent d’un « rien » qui ne peut être envisagé comme le sujet d’une poésie. La séance a, par ailleurs, permis, incidemment, de réactiver des notions propres au genre poétique.
On propose alors « Spleen », LXXVIII, in Les Fleurs du Mal, Section Spleen et idéal, de Baudelaire. Le texte, très difficile à comprendre pour des élèves de quatrième, est étudié dans la qualité expressive de ses images. En groupe, les élèves sont amenés à dessiner ce qu’ils comprennent et à justifier ensuite leurs choix auprès de la classe. Ils comprennent ensuite rapidement qu’il existe un lien étroit entre le paysage extérieur et le paysage intérieur évoqués.
Pour la prochaine séance, on demande aux élèves de porter un regard sur leur ville, que l’on détermine ainsi : Vous prendrez, sur le chemin de l’école, des photos de ce qui vous agace ou vous plonge, comme Laforgue, dans la mélancolie. Vous accompagnerez vos illustrations d’un texte justificatif. Si ce qui vous agace ou vous rend mélancolique n’est pas d’ordre visuel, mais olfactif ou auditif, trouvez-en le correspondant visuel. La séance s’ouvre sur leurs choix : mobilier urbain, bâtiments vétustes, temps pluvieux et gris, circulation, mauvaises odeurs, bruits des pots d’échappements, éclats de voix… Les photos sont regroupées puis redistribuées pour un travail de groupe « éclair » autour de la consigne : Tentez d’écrire des « morceaux », des « éclats » de poésie avec ce que vous voyez. Quelques trouvailles intéressantes à travailler ou à étudier en tant qu’objet poétique sont proposées à la classe. Il s’agit ainsi de faire prendre conscience que tout élève est capable de faire de la poésie et de devenir poète à son tour ; que tout peut devenir poésie dès lors qu’on décide de porter un regard différent sur la réalité et de jouer avec les mots ; que la poésie est aussi de l’ordre de la fugacité, tout autant que du travail.
</figure > Voici quelques exemples d’éclats « estimés » poétiques et retravaillés par la classe :
Éclats poétiques | retravaillés | Éléments porteurs de poésie |
Tour transperçant les cieux Agressant les yeux Tu taillades mon cœur Dans la bonne ou la mauvaises humeur |
Tour, Tu transperces les cieux, Tu agresses les yeux, Tu taillades mon coeur, Quelque soit l’heure. |
Rimes suivies Allitérations en -t qui imite la force de l’agression et en -s pour marquer la menace. Anaphore pour marteler et insister sur la récurrence de l’agression. Personnification : -T majuscule à « tour ». |
La fonderie s’est endormie Laissant son métal pourri |
La fonderie s’est endormie Lasse de son métal pourri |
Personnification Assonance en -s pour le sifflement d’une respiration ensommeillée |
O ! Boite émettrice Haïssante et languinante |
Tes branches métalliques Perchées sur les toits languissent Dans un ciel magnétique. |
Métaphore des branche métalliques perchées Personnification Assonance en -i pour des sons fermés qui imitent l’ennui et le claquement du métal / Allitération en p/t pour le bruit du métal |
La séance se clôt sur le poème A une passante, de Baudelaire et sur la chanson Elle pleut, de Nekfeu.
Les élèves font immédiatement le lien entre les vers de Baudelaire et Laforgue vus en classe et les paroles de la chanson de Nekfeu. Les textes ont en commun de travailler la thématique d’une ville transfigurée par la force du regard des auteurs.Une seconde écoute permet de relever l’importance des assonances et des allitérations dans le texte chanté de Nekfeu : ce sont elles qui impriment le rythme de la mélodie. Le travail de la prosodie est essentiel en chanson. Il existe un lien étroit entre la chanson et la poésie.
Les élèves sont alors amenés à travailler sur leur propre texte poétique : la ville y est perçue par les sens et le regard porté sur elle est désabusé. Les illustrations sont affichées, les classeurs, les textes sont disponibles, mais il s’agit surtout d’écrire un texte qui soit le fruit de sa propre sensibilité.
Ce premier texte poétique n’est guère concluant que pour une moitié des élèves : ce qui est normal puisqu’ils s’inspirent encore des textes vus et écoutés en classe et, lorsqu’ils travaillent d’après leur propre sensibilité, le temps de l’inspiration est passé.
Nous passons alors à la seconde étape du projet : la poésie n’est pas le fait de textes imprimés dans les recueils et manuels : elle se vit, se créée et c’est à nous de la faire surgir à force d’attention et de disponibilité. La poésie se donne à toute sensibilité qui recherche un plaisir, aussi fugace soit-il.
C’est un dernier texte de Baudelaire qui assure la transition entre les deux temps de la séquence : Le Soleil. Le poème y met en scène un Paris malade et vétuste que le soleil vient laver de sa laideur pour le rendre poétique. Le Soleil, source de chaleur et de clarté, est un double plaisir des sens puisqu’il satisfait tout à la fois le toucher et la vue. Les élèves cherchent alors à leur tour ce qui, comme lui, aurait pu rendre leur ville plus agréable lorsqu’ils ont pris leurs photos sur le chemin de l’école. Une gaufre (goût), l’odeur des fleurs le printemps venu (odorat), mais surtout la musique
(ouïe) leur sont venues à l’esprit en premier.
Le plaisir passe donc chez eux par des sens satisfaits et agréablement sollicités.
C’est ainsi qu’après avoir envisagé la ville dans ce qu’elle a pour eux de plus sombre et spleenétique, les élèves sont amenés à déambuler toute une matinée dans les rues selon un itinéraire faussement libre qui pourrait être celui d’un touriste en quête de plaisir et de satisfactions. On leur remet un carnet de notes pré-rempli de textes poétiques où la ville devient source de plénitude, de pages blanches où ils pourront coucher leurs pensées, dessiner, coller des « réalités stimuli ». On glisse dans une enveloppe non scellée un marque page à leur prénom qu’on laisse les élèves libres de remplir de mots, de phrases ou d’illustrations qui seront autant d’éclats de poésie. Ce marque page est accompagné de petits trésors sensoriels qui seront utilisés lors des pauses réflexives et serviront de sources agréables d’inspiration : chacun de ces trésors réactivant un sens en particulier. On demande à chaque élève de s’organiser pour apporter des écouteurs et télécharger des chansons, des mélodies qu’il apprécie tout particulièrement, suscite en lui enthousiasme et bonne humeur. Il est important que chacun d’eux puisse écouter ses propres choix musicaux, car pour eux, c’est en musique qu’une partie de la composition et de l’inspiration se fait.
Le plus difficile pour l’enseignant, à ce moment du projet, est de trouver la mesure entre ce qui lui est source de bonheur et ce qui peut l’être pour ses élèves, des adolescents dont les goûts et les aspirations divergent. La promenade poétique s’était attardée sur des lieux naturels en pleine ville : une rivière, son cours d’eau, sa faune et sa flore ; un parc verdoyant entouré de bâtisses historiques ; une avenue où la nature, magnifiée par la main de l’homme protège les sculptures de grands maîtres sorties de leur musée . L’an dernier, caramels, bonbons à sucer, bandelettes olfactives offertes pardes parfumeurs de la ville et plumes soyeuses de duvet avaient été proposés en guise de stimuli sensoriels. Ceux-ci ont eut l’effet recherché, mais bien moindre que celui de la musique. C’est la raison pour laquelle, cette année, c’est en chanson et musique que s’est faite et se fera la promenade
poétique. Les lieux qui furent les sources d’inspiration ont changés, plus chargés de force sensorielle. La première halte a eu lieu dans une salle particulièrement inspirante du conservatoire de la ville et où se font les auditions des musiciens et chanteurs lyriques. Un parquet vieux d’un siècle, un piano à queue et des livres tapissant les murs sollicitent l’imagination des élèves par leur forte charge sensorielle : on y a senti l’odeur du bois et du vieux livre et écouté une nocturne de Chopin. Le froid vif nous a ensuite contraint à une halte dans une boulangerie où les élèves, attablés, brioche à la main, ont composé des vers aux effluves de pain chaud. La sortie s’est achevée sur les bancs d’un parc, devant la statue « Les cinq sens » que les élèves ont été invités à dessiner pour en deviner le nom, caché par nos soins. Là encore, les éclats de poésie ont pu être posés sur le papier. Et toujours, en musique, à chaque fois que le besoin s’en est fait ressentir.
Afin de tirer un maximum de profit de la promenade, le retour en classe doit se faire sur une séance immédiate d’écriture, qu’il s’agisse d’achever ou de peaufiner le texte poétique. Voici le texte d’une élève, travaillé à plusieurs reprises, et présenté pour plusieurs raisons. La première étant que la poétesse en herbe estime avoir toujours peiné en français, manque de confiance en elle, n’ose pas s’exprimer à l’oral et ne présente aucun de ses écrits. Elle a particulièrement apprécié le projet et s’est investie à chacune des étapes de celui-ci : elle a été portée à son tour par la poésie. La seconde étant qu’elle a choisi de reprendre sa version pessimiste de la ville pour la retravailler sous le coup de l’inspiration par les sens et y ajouter une note positive : la poésie a fait entrapercevoir à cette élève que sa ville, dans ce qu’elle a de plus commun -des toitures- possède aussi de quoi la réjouir, même un instant.
Dans cette ville laiteuse
Qui se perd peu à peu dans son urbanité,
Une structure dissymétrique d’un blanc matifié
Trône, gigantesque et haineuse.
Au milieu des déchets de pollution opaque,
La tristesse vit en silence,
Lâche pauvreté angoissante.
Et, pourtant, dans ce noir et terrible tableau,
Les toits à la clarté orangée inspirent la joie
Et magnifient ma journée.
Y. N.
Ces toits qui « magnifient [s]a journée » sont ceux qui surplomblent le parc et la statue « Les cinq sens ».
Une variante du projet est encore possible (et mise en place actuellement) avec une transcription des textes poétiques en chanson.
Ce travail se fait en collaboration avec le professeur de musique qui travaille conjointement avec le professeur de français sur la ville en musique et exploite City life, de Steve Reich et An Englishman in New York, de Sting. Un padlet est créé pour proposer aux élèves des « bouclesmusicales » sur lesquelles sont posés les textes poétiques des élèves, l’ensemble constituant un slam. Chaque élève choisit une boucle qu’il télécharge pour écouter quand il compose son texte.
L’écoute des poèmes chantés de la chanson de Nekfeu et le travail sur la prosodie effectué en classe serviront de base de travail pour poser mots, sonorités et syllabes sur les notes de musique. Le logiciel Audacity, avec lequel les élèves de la classe sont familiarisés, sert de système d’exploitation.
(Diaporama sonorisé)
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